Coup d'oeil sur l'Asie

lundi 2 février 2009

Au Népal, apellez-moi “didi”…

Kathmandu


Apres un passage éclair en Thaïlande, (l’occasion de poursuivre le portrait de Nan, la « fille parfaite », qui s’est dévergondée durant mon absence, est tombée enceinte et s’est mariée en catastrophe quelques semaines avant mon arrivée.) je suis arrivée au Népal avec un peu d’appréhension :
Je n’avais pas vraiment travaillée depuis des mois, et le fait de reprendre la course contre la montre que m’impose le fait de devoir trouver des femmes et tourner leurs portraits en moins de 30 jours me plaisait moyennement. Je m’étais habituée à prendre mon temps et il me fallait revenir à un rythme beaucoup plus soutenu !
En plus, mon hôte couchsurfing (avec qui je n’avais échangé que quelques emails) ne m’avait pas donné de nouvelles depuis des jours et je n’avais pas son adresse, donc je me préparais à affronter la dure réalité des guest house de Thamel, le quarter des bagpackers à Kathmandu, grouillant de mendiants, de dealers et d’arnaqueurs en tous genres…
Au final je n’y ai passé que 3 jours, le temps pour moi de prendre contact avec John, mon hôte CS et d’emménager chez sa cousine Sarita pour près de 10 jours.
C’est d’ailleurs dans ce foyer de banlieue que j’ai découvert la vrai Kathmandu, bien plus accueillante que ce que laissait présager mon passage à Thamel.
Je suis très vite devenue « Emilie didi » (trad : sœur Emilie) pour toute la famille, car au Népal, chose que je trouve appréciable, les gens utilisent tous des termes relatifs au champ dialectique de la famille pour s’interpeller : en fonction de l’âge de la personne que l’on a en face de soit, on est « didi » ou « auntie » pour les femmes, « bhai », « dhai » ou « uncle » pour les hommes… J’aime bien !!!

Mes rencontres :

Comme ne l’indique pas son nom, John est népalais.
A 26 ans, il vit avec son frère James, 19 ans, dans une maison qui appartient à son oncle Dane, ancien Gurkha émigré en Angleterre ; mais lorsque je l’ai rencontré, il habitait avec sa cousine Sarita (dont le mari vit et travaille à Hong Kong), qui venait d’emménager dans une nouvelle maison et ne se sentait pas de s’y installer sans avoir un homme à la maison, au moins pendant les premières semaines.
Quoi qu’il en soit, John termine des études d’ingénierie civile et partage son temps entre son église (il est évangéliste et très, très épris de religion : du style à lire la bible matins et soirs sans exceptions) et les différentes associations dont il fait parti (contre le sida, pour la liberté d’expression, l’alphabétisation, le sauvetage des enfants des rues, et bien d’autres encore…). Son projet à moyen terme est de monter et gérer un orphelinat et un centre d’accueil pour les gamins des rues.
La petite histoire concernant John, c’est qu’alors que je pensais en quittant la Thaïlande que je n’entendrais plus jamais parler de lui après sa confirmation d’hébergement sur CS, il est carrément venu me chercher à l’aéroport ! Malheureusement pour nous deux, je n’avais pas lu le mail qu’il m’avait envoyé le jour de mon départ et lorsque j’ai atterrie a Kathmandu, j’ai directement pris un taxi pour le centre ville. Le pauvre John m’a attendu pendant 2 heures avec à la main, une pancarte géante à mon nom…
Heureusement il ne m’en a pas voulu, est s’est montré, dès le départ, très amical. John est d’ailleurs probablement la personne la plus dévouée que j’ai jamais rencontrée… Il est très respectueux de ses préceptes religieux et du coup il est profondément bon et attentionné envers tout le monde : toujours prêt à aider son prochain sans aucun apriori. Si tous les croyants étaient comme lui, la terre serait probablement le vrai paradis.

Sarita m’a gentiment accueillie au sein de sa petite famille pendant près de 10 jours.
Mariée à 15 ans à un homme qui vit a plusieurs milliers de kilomètres de chez elle et qu’elle n’a pas vu depuis plus de 2 ans, elle ne travaille pas et élève ses 2 garçons avec l’aide de Smiriti, la fille à tout faire de la maison.

Sa vie est finalement assez répétitive : elle ne sort de chez elle que pour aller au marché ou encore pour récupérer son fils Man à la sortie de l’école (quand ce n’est pas Smiriti qui s’en occupe…). Alors elle occupe son temps en regardant la télévision et en supervisant les ouvriers qui terminent les derniers travaux à effectuer dans la nouvelle maison. Tous les mois, son mari lui envoie 40 000 roupies népalaises (400 euros), ce qui lui suffit largement pour faire tourner son foyer en se tournant un peu les pouces…

Manita m’a été présentée par John comme une jeune népalaise moderne, issue de la classe moyenne. A 19 ans, elle entre tout juste à l’université pour étudier le commerce (même si en réalité elle a un petit penchant pour la photo). Ses parents tiennent une petite boutique alimentaire au dessus de laquelle ils habitent avec leurs deux filles. La première fois que je me suis promenée avec Manita et l’une de ses copines, les deux jeunes filles se sont révélées très curieuses des coutumes françaises et européennes, en particulier en ce qui concerne la famille, la place des femmes et la vie des jeunes dans les pays occidentaux. Elles ont semblées surprises et parfois choquées d’entendre ce que j’avais à leur raconter. Au final, elles semblaient à la fois séduites et désapprobatrices. Quoiqu’il en soit, et malgré un certain conservatisme, j’ai trouvé Manita intelligente, assez libre dans sa façon de penser, et surtout très sympathique.

Comme l’Inde, le Népal est envahit de touristes israéliens…
Ils se divisent en deux groupes : les couples d’âges murs qui viennent passer quelques jours de vacances dans ce pays de montagnes avant de continuer leur périple vers l’Inde et l’Asie du sud-est ; et les jeunes qui cherchent à décompresser et prendre du bon temps au sortir de leurs 3 ans de service militaire.
Ceux-là sont considérés par les locaux comme les pires touristes ayant jamais foulé le sol népalais : ils s’installent généralement à Kathmandu pour plusieurs mois, se déplacent en groupes et semblent n’avoir de respect pour rien ni personne…
Ils veulent faire la fête et n’hésitent pas à se mettre la tête à l’envers par n’importe quel moyen. Selon les habitants de Thamel, à chaque fois qu’une bagarre éclate dans la rue, on peut être sure qu’elle implique des israéliens. Du coup il existe à Kathmandu une règle qui semble inaltérable : les israéliens doivent payer plus chère que les autres !!!
Petit exemple : lorsque je suis arrivée à l’aéroport, pour éviter de débourser une somme exorbitante pour un taxi, je me suis joint à un groupe de 5 israéliens qui s’étaient rencontré dans l’avion et leur ai proposé de partager un taxi. Une fois arrivés à Thamel et après un passage obligé à Bet Chabad, la maison d’Israël à Kathmandu (où semble t-il tous les israéliens débarquent en arrivant au Népal pour faire le point sur la situation et bénéficier des conseils de leurs compatriotes), nous avons commencé à chercher des chambres d’hôtel (une fille de 20 ans voyageant seule faisait partie du groupe et m’avait proposé que l’on partage une chambre pour en diminuer les frais). Pendant au moins 2 heures, nous avons fait le tout du quartier, passant d’un hôtel à un autre sans rien trouver à moins de 700 roupies (tarif négocié pendant ¼ d’heure !!). Lorsque j’en ai eu marre de chercher et que je me suis rendue compte que la fille en question était prête à payer une chambre hors de prix, juste pour rester à coté de Bet Chabad, je les ai laissé tombé et je suis partie de mon coté. En 5 minutes, j’avais trouvé une chambre à 300 roupies, et ce dans un hôtel dans lequel on était déjà passé !!! On m’a confirmé par la suite qu’il existait bien à Kathmandu un tarif spécial Israël et que les ressortissants israéliens étaient moins bien venus au Népal que toutes les autres nationalités… Finalement, même si les français sont connus dans le monde pour être de vrais radins, ce n’est pas la réputation la plus difficile à porter !!!

Mes coups durs :

Rien de grave lors de mon séjour à Kathmandu à rapporter dans cette rubrique…

Mon passage à Thamel n’a duré que 3 jours et malgré le nombre assez impressionnant de gens mal intentionnés que j’ai pu rencontrer dans ce laps de temps (généralement des gérants de guest houses et des professionnels du tourisme intéressé pas seulement par mon porte monnaie..), tout s’est bien passé (mais je vous assure que je n’aurais jamais ouvert à qui que ce soit qui frapperait à la porte de ma chambre, pas même les employés des hôtels !!)

Chez Sarita, c’était une toute autre histoire :
Levé avec le soleil tous les matins, diné à 18h et couché tous les soirs en même temps que les enfants (3 et 12 ans)… Une vie saine, certes, mais pas très exaltante ! Sans parler des thalis (plat traditionnel au Népal comme en Inde, composé de riz blanc, curry de choux fleur parfois agrémenté de patates et dune soupe de lentilles appelée dhal) matin, midi et soirs !
Ne me méprenez pas, j’ai l’air de me plaindre et de faire mon enfant gâtée… Seulement si au début j’ai apprécié la cuisine de Smiriti à sa juste valeur (une cuisine simple, mais délicieuse et très nutritive), au bout de 3 ou 4 jours j’aurais tout donné pour un légume vert ou un yaghourt !!! J’aurais voulu cuisiner, le problème c’est que l’accès aux ustensiles cuisine m’a toujours été refusé (je ne sais d’ailleurs pas trop si c’est par excès de politesse et par volonté de m’accueillir dans les règles), ou si Sarita, pourtant adepte de la religion bouddhiste, pratiquait la coutume hindoue qui veut qu’un étranger (comprendre quelqu’un d’une autre caste) ne doive pas toucher aux ustensiles de cuisine sous peine de les souiller et de les rendre inutilisable pour cause d’impureté).
De plus, j’ai remarqué que les népalais, habitués à ce régime perpétuel, ne le trouvent pas particulièrement monotone. Ainsi lorsque j’ai invité John, Manita et un couple d’amies au restaurant un midi, ils ont tous préféré commander des thalis plutôt que des momos (bouchées à la vapeur chinoises dont raffolent tous les népalais au point d’en voir fait un plat national) ou des plats continentaux, et cela uniquement parce qu’il n’était pas l’heure de manger autre chose (le régime népalais comprend aussi de nombreux encas, répartis dans la journée et généralement faits de chowmein, de momos ou de fritures).
Je dois quand même préciser que lorsque l’occasion s’est présentée que j’invite Sarita, Smiriti et les enfants au resto (Sarita n’aimant pas sortir avec les enfants, la convaincre a été difficile, même pour aller dans une échoppe du quartier !!!), la situation s’est révélée quelques peu différente : les 2 garçons ont changé la donne en se régalant de hamburgers et de boissons sucrées, tandis que les adultes ont mangé des momos et du chowmein. En même temps il était 4h de l’après-midi…

Quoiqu’il en soit, j’ai fini de vous parler des mes réflexions psychologico-culinaires et je vous propose de vous pencher sur un sujet bien plus intéressant : mon film !!

Mon film :

Lorsque j’ai parlé à John de mon projet, il a paru tout de suite emballé et m’a proposer de m’apporter son aide. Très rapidement, j’ai grâce à lui, pris contact avec une association (la seule en fait, au Népal) LGBT.H (Lesbiennes, Gays, Bi et Transsexuels, sans oublier les hermaphrodites - 1 membre au sein de l’association, dont on ne tient pas à faire une victime de discrimination !!).
Selon BDS (Blue Diamonds Society), au Népal, 150 000 personnes se revendiquent LGBT (plus 1 personne des deux sexes je le répète – moi non plus je ne veux pas faire de discrimination !!)

La grande découverte que j’ai faite en discutant avec le président de l’association, c’est qu’en réalité, les notions de gay ou lesbienne ne s’appliquent pas à cette population.
Je m’explique : la pression sociale est telle dans la société népalaise, et les gens (LGBT ou pas) tellement encrés dans la tradition, que même au sein des couples homosexuels, l’un des intéressé doit jouer le rôle de la femme (pour les gays) ou de l’homme (pour les lesbiennes). Du coup les couples sont formés de transgenres (un homme qui se considère et se comporte comme une femme ou inversement) et de pseudo hétéros (qui considère leur partenaire comme étant du sexe opposé).

C’est un peu compliqué, mais en gros et en ce qui nous concerne, cela signifie que vous ne verrez pas au Népal de couples composé de deux femmes ressemblant à des femmes. L’une d’elle sera forcement prénommée et vêtue comme un homme, se présentera et se comportera en tant que tel (dans la culture népalaise, les taches sont bien définies au sein du couple).
Et si tous ces transgenre (masculins ou féminins) ne sont pas des transsexuels (c'est-à-dire ayant subi une opération de changement de sexe), c’est uniquement parce que l’opération ne se pratique pas au Népal et que d’aller se faire opérer en Inde ou au Népal est soit très dangereux, soit très couteux… La situation est telle qu’aujourd’hui BDS réclame au gouvernement népalais l’officialisation d’un troisième genre, en plus du masculin et du féminin !!!

Pour moi qui désirais faire le portrait d’une lesbienne, un vrai problème s’est alors posé : aucune des filles que j’ai rencontrées ne se considérait vraiment comme lesbienne (au sens où on l’entend en occident) et comment décider laquelle des partenaires (la féminine ou la masculine) d’un couple de femmes collait le plus à ma définition du lesbianisme (celle du dictionnaire : une femme ayant une attirance sexuelle pour une autre femme)…
Finalement, et après maintes réflexions, j’ai décidé de faire le portrait d’un couple : ce sera au spectateur de décider lui-même de la situation des homosexuelles au Népal !!
Suman et Anusar

A 26 et 23 ans, les deux jeunes femmes ont un parcours surprenant :
La première est bouddhiste, tandis que la seconde est hindoue, elles viennent de la région Est du Népal et se sont rencontrée en 2006.
Dès leur première rencontre, elles sont tombées sous le charme l’une de l’autre et ont démarré une relation amoureuse qui les a amenées, voilà quelques mois, à fuir leurs familles respectives et s’installer ensemble à Kathmandu.

Chose qui m’a paru assez insolite, Suman et Anusar sont mariées religieusement. Elles ont réussi à tromper la vigilance d’un prêtre hindou (Suman passant plutôt bien pour un homme) et ont échangées les sacrements du mariage.
Aujourd’hui Suman travaille pour une association népalaise de droits de l’homme, tandis qu’Anusar suit une formation d’esthéticienne. Elles vivent dans une chambre minuscule sur le toit d’un immeuble de Thamel et ne côtoient que des LGBT.
Au-delà de leur franchise et de leur gentillesse, ce qui m’a beaucoup touché les concernant, c’est la complicité et la tendresse qui émanait de leur couple en dépit d’une vie pas tous les jours facile et d’une vrai détresse (surtout chez Anusar) concernant leurs relations avec leurs familles.

Gularia


Je suis arrivée dans la petite ville de Gularia, dans l’ouest du Népal, après avoir pris contact avec « Friends of needy children » (FNC), une ONG locale qui se charge de porter secours aux enfants victimes de violence, de malnutrition, et de toutes sortes de maltraitances.
Pour arriver à Gularia de Kathmandu, j’ai du prendre un micro bus, une sorte de taxi collectif très commun dans la capitale népalaise. 16h de trajet, de nuit, avec un seul et même chauffeur qui faisait des pauses thé rapides toutes les 2 ou 3 heures. J’étais assise à coté de lui sur le siège passager (pas de ceinture de sécurité) et toute la nuit j’ai rêvé que le type s’endormait au volant, au point qu’à un moment, je me suis réveillée en sursaut et je lui ai attrapé le bras, pensant qu’endormi, il me tombait dessus … le type m’a regardé avec un air surpris (tu m’étonnes !!) je me suis excusée et rendormie aussi tôt.
Au petit matin, sur la route déserte, des familles entières de singes se réchauffaient sous les premiers rayons du soleil et on devait presque tout le temps rouler au pas pour leur laisser le temps de dégager la route.
Arrivée à Nepal Ganj, le terminus, vers 10h du matin, j’ai du reprendre une jeep collective pour finalement arriver à Gularia vers 11h00. Autant dire que j’étais épuisée…
Mais ne voulant pas perdre de temps, j’ai tout de suite contacté le représentant de FNC à Gularia et pris rendez-vous pour l’après-midi.
Je n’ai passé que quelques jours à Gularia, mais je n’y ai pas tellement apprécié mon séjour. En dehors de mon tournage qui s’est vraiment bien passé, je n’y ai pas trouvé les gens hyper accueillants. En dehors des étudiants, peu d’habitants de la ville parlent anglais et s’intéressent aux étrangers. Par contre le bon coté des choses, c’est que Gularia est une toute petite ville paumée en pleine campagne, et que l’on peu sans mal et très rapidement se retrouver aux milieux des champs de colza et traverser les petits villages des alentours.

Mes rencontres :

Man Bahadur Chhetri
Il est le représentant local de FNC, et aussi l’une des personnalités népalaises les plus connues en matière d’aide aux enfants victimes d’abus ; en particulier en ce qui concerne les deukis et le kamlaris.


Petite explication :
Les deukis sont des fillettes issues de familles pauvres, que leurs parents vendent à des personnes aisées, qui en font offrande aux temples. Elles deviennent alors les servantes des dieux, vivent d’offrandes faites par les fideles, ne reçoivent aucune éducation ni aucun soin et sont souvent abusées sexuellement par les prêtres hindous avant d’être renvoyées des temples lorsqu’elles atteignent la puberté. Selon les croyances locales, épouser une ancienne deuki porte malheur ; ainsi, les jeunes femmes ne trouvant ni mari ni travail, se retrouvent souvent sans autre choix que de vendre leur corps pour survivre.

Les kamlaris sont quant à elles des fillettes issues de la communauté Tharu (l’une des ethnies qui compose la population népalaise, principalement localisée dans l’ouest du pays), que leurs parents vendent comme domestiques à des familles riches. Tous les ans au mois de Janvier, durant le festival de Maghi, des milliers de familles Tharu passent des contrats oraux avec des employeurs (appelés « propriétaires ») et se séparent de leurs filles âgées généralement de 6 à 16 ans pour une somme qui avoisine généralement les 50 euros. L’année suivante, le contrat peut être reconduit ou pas. En attendant, la fillette travaille entre 15 et 18 heures par jours contre 2 repas par jour et un endroit ou dormir (parfois une simple paillasse dans un coin de la cuisine).
Durant cette année, les parents n’ont aucun contact avec leur fille, et la plupart du temps, ne savent même pas ou elle se trouve. Ainsi il arrive régulièrement que les filles soient revendues et trafiquées vers des réseaux de prostitution, le plus souvent en Inde.

Man Bahadur travaille sur ces questions depuis toujours. Grace à son acharnement et sa force d’action (malgré l’opposition de personnalités népalaises qui profitent largement de l’exploitation de ces enfants), et bien sure avec l’aide de nombreuses autres personnes, il a participé à l’élimination progressive de ces deux systèmes. Aujourd’hui au Népal, il n’existe (officiellement) plus de deukis et l’on estime le nombre de kamlaris à environ 10 000, contre 20 000 ils y seulement 4 ans.

Mon film :

Comme vous devez vous en douter, le portrait que j’ai réalisé à Gularia concernait un jeune kamlari de 15 ans, Shuriya.
Lorsque j’ai démarré ma recherche, avec Man Bahadur comme interprète, il m’a proposé de rencontrer 2 jeunes filles. La première, Tara, 14 ans, travaillait comme kamlari depuis l’âge de 8 ans. Je ne l’ai vu qu’une fois.
Lorsque l’on est arrivé dans la petite gargote où elle vivait et travaillait depuis un an, elle a paru très effrayée, n’a pas ouvert la bouche et s’est même mise à pleurer lorsque j’ai essayé d’attirer son attention. J’ai préféré partir. La rencontre a duré 20 minutes au maximum.
Je dois dire que cette rencontre avec Tara m’a bouleversé et m’a surtout déconcerté :
Pour moi, la situation des kamlaris était vraiment terrible. Esclaves vendues par leurs propres parents, fillettes victimes d’un système qui bafoue le moindre de leurs droits, les kamlaris devaient être sauvées… Mais que faire si elles ne voulaient pas être sauvées ? Et surtout comment ne pouvaient-elles pas le vouloir ?
Man Bahadur m’a alors expliqué que beaucoup de kamlaris refusent d’entrer en contact avec les associations, de peur de se voir maltraiter par leur propriétaire, ou encore de devoir rentrer chez elles, où parfois elles ne sont pas les bienvenues, leurs parents ayant de nombreux enfants à nourrir et peu, voir pas de revenus…

Ma rencontre avec Shuriya m’a permit de mieux comprendre la situation.


Vendue pour la première fois par ses parents à l’âge de 10 ans, Shuriya a été renvoyée dans sa famille au terme de son premier contrat. Ses parents n’ayant pas les moyens de la nourrir correctement, et encore moins de l’envoyer à l’école, elle a choisit de repartir pour se donner de meilleures chances de quitter son village natal et de mener une meilleure vie. Apres quelques expériences malheureuses (maltraitance et abus sexuels) elle a finit par se retrouver dans une maison de femmes (tous les hommes du foyer vivant à l’extérieur) où elle occupe ses journées entre diverses taches ménagères et un travail de serveuse (la famille tient une petite gargote en ville). Shuriya est logée et nourrie, bien mieux que si elle vivait avec ses parents, elle garde pour elle le « salaire » qui, selon la tradition, devrait revenir à ses parents (environ 60 euros par an). Elle rêve d’intégrer la police locale, tout en sachant que sans aucune éducation (elle n’a jamais dépassé le cours élémentaire), c’est pratiquement impossible.
Et puis de toutes les façons, elle va se marier dans quelques mois à un homme de 21 qui vit et travaille en Inde. Elle l’a déjà vu en photo et il a un physique plutôt pas trop mal. Shuriya se considère comme chanceuse. Il reviendra au Népal pour le mariage puis elle s’installera dans sa famille avant qu’il ne reparte en Inde. Le quotidien de Shuriya ne sera pas bouleversé… Elle fera le même travail dans une autre maison, pour une belle mère plutôt que pour une propriétaire. Mais Shuriya est heureuse, elle ne rentrera pas au village…

Bhairahawa


Avant de rentrer à Kathmandu, j’ai choisit de faire une halte à Bhairahawa, dans le sud du pays, à quelques kilomètres seulement de la frontière indienne. J’avais pris contact avec une ONC locale du nom de Namuna, dans l’intention de traiter pour mon film la question de la grossesse au Népal.
Lorsque je suis arrivée dans cette petite bourgade aride et froide, j’ai tout de suite été prise en charge par les responsables de Namuna.
Ils m’ont accueillie comme une invitée de marque et m’on tout de suite accordé leur soutien en ce qui concernait la réalisation de mon projet.
Grace à eu j’ai pu passer du temps à Bhoreva, un village de 500 foyers, à 10 km du centre ville, où j’ai rencontré Sita, la femme de mon portrait.

Mes rencontres :

Dinesh et Gyanu Poudial
Je ne connais pas bien l’histoire de ce couple de travailleurs humanitaire, fondateurs et responsables de Namuna, association népalaise pour les droits des femmes.
Une chose pourtant est sure, Gyanu et Dinesh forment un couple hors du commun au Népal… Respect, confiance et compréhension mutuelle émanent de leur couple engagé dans une action commune, et ce sans aucune rivalité.
Dinesh soutient sa présidente de femme comme aucun autre membre de l’association (ce qui parait normal dans une conception du monde occidental, mais qui reste extrêmement rare au Népal, où la majorité des hommes considèrent que la place de leur femme est à la maison) et se plie même à ses directives.
Quoiqu’il en soit ils m’on rapidement séduite, autant par leurs personnalités que par leur efficacité professionnelle, et nous avons rapidement développé une relation amicale.
Avant que je ne quitte Bhairahawa, ils m’ont même proposé de venir dormir chez eux plutôt que de dépenser mes sous dans un hôtel !!!

Geeta
Pour m’aider dans mon travail, Gyanu m’a confiée à Geeta, une travailleuse sociale de Namuna, 42 ans, qui ne parlait pas anglais (c’est du moins ce qu’elle m’a fait croire lors de notre première rencontre).


Comme une vrai mère poule, Geeta venait tous les matins me chercher à mon hôtel pour m’accompagner à Bhoreva, négocier les tarifs des rickshaws et m’aider sur le tournage (en refusant inlassablement de me laisser porter mon sac, en éloignant les enfants chahuteurs ou en tapant la discute avec les villageois pour m’aider à me faire oublier – pas toujours évident avec une camera !!). Bref, une vraie perle cette Geeta !! Et puis en fait, j’ai découvert qu’elle comprenait tout a fait l’anglais lorsque je parlais lentement et que j’utilisait des mots simples, et j’ai appris à mon tour à la décoder. Bien sure on n’a jamais eu de grandes conversations philosophiques, mais c’est aussi parfois bien de n’exprimer que le nécessaire et de faire une petite place au silence !!

Prabbhat
Lors de ma première visite à Bhoreva, j’ai rencontré Prabbhat, 19 ans, fils d’une famille de notables du village et le meilleur anglophone aux alentours !!
Dès le début, il a paru très intéressé par mon projet et s’est proposé de me servir de traducteur (à Bhoreva, la majorité des habitants ne parlent que le dialecte Tharu. Quelques-uns parlent népalais, mais pratiquement personne de parle anglais…).
Geeta parlait bien tharu et népalais, mais son anglais ne suffisait pas à la traduction d’une interview de Sita ; cependant j’ai préférée travailler avec 2 interprètes (Geeta et un autre employé de Namuna) plutôt qu’avec Prabbhat qui était le voisin de Sita, et qui plus est un jeune homme de 19 ans (pas foncement au fait des histoires de grossesse)…
Malgré tout, j’ai pas mal discuté avec lui et j’ai été surprise de le découvrir aussi éduqué et ouvert d’esprit, connaissant le village d’où il venait. Il a d’ailleurs prévu de partir étudier à Chypre cette année (un effort financier majeur pour sa famille) et j’espère bien qu’il viendra faire un tour à Paris !! J’adorais observer les réactions des étrangers en visite pour la première fois en occident… Ils sont probablement aussi surpris que moi depuis que j’ai commencé mon petit tour d’Asie !!

Mon film :

Il faut savoir qu’au Népal, une grossesse suivie dans un hôpital gouvernemental coute plus chère que les revenus moyens d’une famille, du coup, 80% des femmes vivant à la campagne ne peuvent pas se permettre d’accoucher, ou même d’avorter, dans des conditions décentes.
Avant la légalisation de l’avortement, en 2002, le pays connaissait l’un des taux les plus élevés de mortalité maternelle dans le monde : 1500 décès pour 100 000 naissances (contre 740 décès de femmes enceintes pour 100 000 naissances en 2006).
Les causes de ces décès relevaient pour beaucoup des conséquences d’avortements pratiqués illégalement par des moyens plus que barbares Les méthodes employées comprenaient l'ingestion orale de teintures chimiques et de médicaments à base de plantes, et l'insertion dans le col de l'utérus des substances étrangères comme du mercure, des morceaux de verre tranchants, ou des bouts de bois enduits de mélanges d'herbes ou de la bouse de vache.
Aujourd’hui les femmes n’encourent plus de peines de prison pour un avortement, mais les contraintes financières d’une grossesse, interrompue ou pas, les obligent à continuer de vivre leurs grossesses sans aucun soin légal.
Ainsi comme la plupart des femmes de Bhoreva, Sita, mère de 3 garçons, a vécu ses accouchements au village, 2 fois sur 3 sans même l’aide d’une sage femme.

A travers son portrait, j’ai pu entrevoir les conditions de vie des femmes du Népal rural…
Mariée jeune à un homme pauvre, Sita n’a pas eu accès à une éducation scolaire. Elle partage son temps entre les travaux ménagers et ceux des champs. Le terrain de son mari suffisant à peine pour nourrir leur famille, ils n’ont aucun revenu financier, si ce n’est lorsque Ram travaille à la journée pour d’autres agriculteurs. C’est d’ailleurs ce qui a poussé Sita, avec l’accord de son mari et de sa belle mère, à interrompre sa 4eme grossesse. Grâce à Namuna, l’association de Gyanu, elle a pu avorter dans un dispensaire (qui fqcture bien moins chere qu’un hopital) apres avoir tout de même emprunté de l’argent à une voisine. Je suis passée dans ce dispensaire, on ne m’a pas autorisé l’acces à la salle de soins, mais on m’a tout de même expliqué la procédure : lorsqu’une femme arrive avec le désir d’avorter, elle est reçue par une conseillère qui l’interroge pendant 10 minutes sur les conditions de sa grossesse et ses revenus. Une fois réglés les frais de l’opération (1300 roupies népalaises – 13 euros – pour Sita), la femme entre en salle de soin, subie son opération, puis bénéficie de 30 minutes pour se remettre en salle de repos. Alors elle peut rentrer chez elle.
Lorsque Sita est rentrée chez elle après son avortement, et comme le veut la tradition hindoue lorsqu’une femme accouche ou lorsqu’elle a ses règles, Sita s’est retiré à l’écart. Tout ce sang faisant d’elle une impure, elle n’a pu ni manger, ni dormir avec le reste du foyer. Sa belle-mère ayant prit le relais en ce qui concernait la préparation des repas.
Quand j’ai interrogée Sita sur cette coutume, elle m’a répondu qu’elle ne la considérait pas comme une discrimination… Que pendant cette période elle était sale, et qu’elle préférait, de ce fait, rester à l’écart.
Il est vrai qu’à Bhoreva, l’hygiène n’est pas une évidence.
Là-bas, pas d’eau courante ni d’électricité. Les femmes font la vaisselle avec de la boue, et tout le monde fait ses besoins dans les champs (j’ai entendu dire que certaines femmes ne mangent pas pendant la journée pour ne pas avoir à subir la honte d’être découvertes accroupies derrière un buisson). Le village ne compte qu’une boutique et je doute qu’elle vende des serviettes hygiéniques ou même du papier toilette… Pas facile d’être une femme dans ces conditions !

Kathmandu bis


Une fois terminé mon tournage à Bhairahawa, j’ai repris un bus pour Kathmandu (un bus de luxe cette fois : 32 sièges confortables et pas d’arrêt toutes les 5 minutes !!)
Malheureusement, en arrivant sur la capitale, une manifestation populaire avait engendré un blocage des routes et j’ai du descendre du bus 10 km avant ma destination (Une seulle route permet d’entrer et de sortir de la ville). Apres 2 heures de marche j’ai pu contacter John qui a envoyé son frère me chercher à moto.
Durant ce second séjour à Kathmandu, j’ai logé dans la maison de John. Sarita recevait de la famille de Singapour et chez elle, toutes les chambres étaient occupées.
Dans cette nouvelle maison de la banlieue ouest, j’ai vécu une dizaine de jours avec John et son petit frère James, Mama (un jeune bouddhiste originaire du même village que mon hôte) et Manu, une fille dont je n’ai jamais vraiment compris les liens avec le reste des habitants de la maison qui était traitée à égalité avec les autres (comprendre que ce n’était pas une fille à tout faire dans la maison, même si la plupart du temps c’est quand même elle qui s’occupait des taches ménagères). En plus de ces habitants réguliers, la maison accueillait des gens de passage, des amis ou des habitants de Barpak, le village de la famille de John ; et durant mon séjour elle a même accueillie son propriétaire, Dane Ghale, l’oncle de John et son ancien collègue, le Major David.

Mes rencontres :


J’avais déjà croise James lorsque j’étais chez Sarita, mais j’ai vraiment commencé à le connaître en vivant avec lui. Il est tout l’opposé de son frère ainé… A 19 ans, il est déjà ancien toxicomane (l’héroïne, appelée « brown sugar », semble faire de vrais ravages au Népal). Blagueur et glandeur, il cherche encore sa voie, et tente, tant bien que mal, de suivre les conseils avisés (et surtout inspirés !!) de John.

Uncles
Dane Ghale s’est engagé dans l’armée britannique dans le régiment gurka, tout comme son père et son grand-père l’avait fait avant lui. Lorsqu’il a pris sa retraite de l’armée, après plus de 15 ans de service, il a obtenu le droit de s’installer en Grande Bretagne avec sa famille. Il vit depuis dans la banlieue de Londres en attendant de pouvoir revenir s’installer définitivement, lorsque ses filles pourront s’assumer, dans son village natal.
Il possède quelques propriétés à Kathmandu et à Barpak et vient presque tous les ans se ressourcer au Népal.
Cette fois, il avait amené avec lui son ancien « sahib », le major David, lui aussi militaire de père en fils depuis des générations, et recyclé depuis sa retraite de l’armée dans l’ingénierie civile. Tous les deux avaient le projet d’étudier la construction éventuelle d’une route jusqu’à Barpak (accessible aujourd’hui au prix d’une journée de marche).
J’avais hâte de rencontrer le major. Je savais par John qu’il était né dans le Penjab indien avant l’Independence, et je voulais savoir ce qu’il se rappelait de cette période incroyable de l’histoire de l’Inde…
Du coup j’ai été bien déçue quand je l’ai rencontré, de trouver en lui un vieux colonialiste, raciste, hautain et qui plus est, psychorigide et radoteur (je n’imaginais pas ce que pouvait être un militaire de carrière et de famille, qui plus est britannique !!)
Pour exemple, il appelait les népalais (et même ses hôtes) « ces gens là.. » et trouvait anormal qu’à mon âge je sois là à courir le monde plutôt que d’être mariée avec 3 enfants (il a même sous-entendu que j’étais déjà presque trop vieille pour en avoir !!)
Autant vous dire que la conversation avec lui était un vrai calvaire et que je faisais tout pour l’éviter!!!

Quoiqu’il en soit, ces quelques jours à Kathmandu sont passés très vite, j’en ai profité pour m’occuper de mon visa indien et tourner mes dernières images du Népal. J’ai fini par prendre un bus direct pour New Delhi (46 heures, mon plus long trajet de bus !).


Je garde du Népal un souvenir très attachant… Bien sure je regrette, dans ce pays de montagnes, de n’avoir même pas approché l’Himalaya ; mais mon itinéraire dans les plaines du Terai m’a permit de sortir des sentiers touristiques et de découvrir un tout autre Népal que ce à quoi je m’attendais.
Dans la globalité, j’ai trouvé que les népalais était des gens honnêtes et tolérants. Par contre j’ai été choquée par le fait que tout le monde, quelque soit la classe sociale, souhaite quitter le pays pour émigrer à l’étranger. La situation politique instable (le Népal n’est une république démocratique que depuis 6 mois) du pays, la corruption (je me suis fait arrêter à moto avec James qui conduisait sans permis, 200 roupies ont suffi pour calmer le policier zélé) et la pauvreté semblent être venues à bout même des esprits les plus citoyens…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ton periple au Nepal a l'air d'avoir ete riche en tous points. La visite de toutes ces familles nepalaises a bien valu la vue de l'Himalaya, non? En tous cas la lecture de ces lignes m'a fait voyager un instant au Nepal que tu as connu. Merci!